du 25 janvier au 28 mars 2020
Shigeru Ban, François Bauchet, Atelier BL119, Curro Claret, Katia Jacquet, David Dubois, Bruno Munari, Lucas Maassen, Jasper Morrison, Hossie, Pierre Castignola, Andreas Brandolini
Prenons un objet. Que voit-on ? Un usage ? Une forme ? Une ergonomie ? Une matière ? Une qualité de fabrication ? Une histoire ? Un seul ou plusieurs de ces aspects ? Tous en même temps ?
Economy est une sélection d’objets anciens (mais pas trop quand même) et d’aujourd’hui que l’on ne jugera pas seulement sur la qualité des matériaux et de leur mise en œuvre, mais aussi sur l’intelligence de leur conception, leur économie de gestes et parfois d’ego. Economy parle des moyens dont on dispose pour travailler. Peut-on travailler avec peu de choses, peu de moyens ? Est-ce que le design, le design inventif, le design novateur, passe forcément par des moyens techniques et de production coûteux ? C’est un aspect du design, et heureusement que des moyens importants permettent de faire de grandes choses. Mais un autre aspect du design est d’interroger les moyens économes de production. Comment produire à partir de rien ou presque ? Les objets d’Economy peuvent-être simples et presque évidents mais leur conception et leur réalisation, même à partir de matériaux courants ou pauvres, peuvent-être exemplaires.
Economy n’est donc pas une exposition sur le Do It Yourself. Les racines de l’exposition se trouvent autant chez Rietveld, la Proposta per Autoprogettazione d’Enzo Mari, Bruno Munari ou les designers émergents des années 90 comme Jasper Morrison, Michael Marriott, Droog Design ou encore Piet Hein Eek. Economy doit beaucoup aux designers émergents des années 90 et du début des années 2000. Beaucoup de designers ont alors envie de tourner la page de l’exubérance, de la débauche technique et décorative des années 80. Avec eux c’est un nouveau rapport au design, à la production et à la consommation qui s’établit. L’idée émerge que l’on peut essayer de se passer de l’industrie ou tout au moins s’en servir plus qu’elle ne se sert de nous et que l’on peut même inventer un canal de diffusion soi-même plus que d’en être dépendant.
Parmi les designers émergents de la fin des années 80, Jasper Morrison est l’un des plus importants. Après sa découverte de Memphis en 1981, et sa période Memphis qui dura le temps d’un seul objet, Jasper Morrison aborde une période qu’il qualifie de « poétique ». Le design se fait alors pour lui à partir d’un assemblage d’objets existants, pots de fleurs, guidons de vélo, tubes de zinc etc. Jasper Morrison quittera cette période en initiant un travail qui continue encore aujourd’hui, celui sur l’essence du design. La Plywood chair (1988) éditée ensuite par Vitra est exemplaire de ce point de vue. Elle garde l’économie de la période précédente en utilisant uniquement un matériau courant, le contreplaqué, mais en travaillant un dessin qui le transcende. Grâce à la qualité du dessin le contreplaqué produit ici un objet particulièrement beau et efficace.
La même année c’est aussi le contreplaqué qu’utilise François Bauchet avec le Cabinet Bouleau (1988) pour la galerie Neotu. À partir d’un matériau dont la nature est d’être plat et commercialisé sous la forme de planches, François Bauchet réalise un travail sur la masse d’une grande rigueur formelle.
Si le contreplaqué (voir également le Library Steps de Andreas Brandolini, 1993) est un matériau qui reste exemplaire dans le cadre de notre problématique, un autre matériau économique déjà utilisé dans les années 70, le carton, deviendra dans les années 80 une marque de fabrique pour Shigeru Ban (série Carta pour Cappellini, 1998). D’un dispositif d’exposition muséal, le carton deviendra chez lui au fil du temps, maisons, bâtiments puis mobilier. En simplifiant et unifiant les moyens de production mis en œuvre, la conception devient une sorte de jeu, où la liberté et l’inventivité prennent toute leur importance.
On trouve autant de jeu et de plaisir à manipuler avec Curro Claret. Frutero Malla (1999), dont nous produisons une nouvelle version, est une corbeille à fruits constituée d’un piètement en fil d’acier sur lequel vient s’attacher un filet d’emballage de fruits. Il s’agit d’un geste très simple mais particulièrement intelligent et qui illustre bien une certaine idée du design que n’aurait pas reniée Achille Castiglioni.
Parler d’économie dans le cadre du travail de David Dubois relève presque de l’évidence. La quasi totalité de son travail entretient un rapport très fort à l’expérimentation, le jeu avec des objets et matériaux courants. Dans la série des Protected Vases (2018) que nous montrons ici dans sa quasi totalité, des céramiques industrielles sont assemblées avec du ruban adhésif puis habillées de tissu et d’un film plastique. Ici tout est intelligence et élégance pour un résultat particulièrement troublant. Les Protected Vases pourraient être la réponse à la question : Comment faire de la céramique sans la chaine de travail traditionnel, sans tour, sans four et sans émaillage ?
Pierre Castignola est aussi un adepte de l’utilisation d’objets courants. Dans la série Copytopia (2018) Pierre Castignola utilise pas moins que la chaise la plus vendue au monde, la chaise monobloc. Comme pour Shigeru Ban, ici le matériau est unique mais étant un objet lui-même, le travail consiste à découper, remonter et assembler des éléments existants, assises, pieds, accoudoirs etc.
La dimension du plaisir et du jeu est également présente chez Lucas Maassen, qu’il soit associé avec ses enfants (Lucas Maassen and Sons Furniture Factory, 2013) ou avec Hossie (De Vrijgieterij, 2019). Chez Lucas Maassen il est toujours question d’interroger les moyens de production et de conception. Qui dessine ? Qui produit et fabrique ? Au fond Lucas Maassen est un chef d’entreprise né mais un chef sympathique qui sait partager généreusement son savoir et ses compétences. Peints par ses enfants, ses stagiaires jeunes designers, ses meubles et objets sont de véritables productions de design collaboratives.
Parmi les moyens de production dont disposent les designers il y a aussi l’artisanat. Pour Katia Jacquet, initialement directrice artistique, l’artisanat est le moyen par lequel elle parvient à l’indépendance. Formée à la céramique et la peinture, des moyens traditionnels et peu couteux, Katia Jacquet les déplace légèrement pour les utiliser sur des supports très pauvres, des billots de bois. Dans la série Lovebuch (2017), celle-ci parvient à un résultat hautement décoratif par l’application soignée de couleurs et de motifs.
Quant à l’atelier BL119, si leur nom émerge en tant que designers pour l’industrie notamment pour Ligne Roset et Muuto, l’économie ici se révèle être une économie formelle très forte où le superflu et l’égo disparaissent au profit de la fonctionnalité des objets. En résultent des objets forts, économes qui vont à l’essentiel dans la lignée de Jasper Morrison.